Quelques pensées personnelles sur la pédagogie…

Régulièrement des articles publiés sur Internet sont consacrés à des méthodes ou des outils pédagogiques dits « innovants » (classes inversées, cours renversés, tableau numérique, MOOCs, SPOOCs, etc.)

http://orientation.blog.lemonde.fr/2017/07/17/la-revolution-pedagogique-est-en-marche/

https://www.ludovia.com/2017/03/les-classes-inversees-pour-favoriser-la-reussite-de-tous-les-eleves-journee-paris-04-mars-clij75/

Or il est rarement apporté la preuve que ces méthodes ou outils soient une réelle source de progrès….

Je n’ai pas encore trouvé une étude sérieuse démontrant l’amélioration de l’apprentissage des étudiants avec la mise en place de classes inversées, par exemple.

Une fois que l’on a posé que la génération Y ne se comportait pas comme la génération X, il semble acquis qu’il faille leur offrir de nouveaux modes d’apprentissage…

Ne vous méprenez pas, je suis curieuse de l’utilisation de nouvelles méthodes et outils, mais je les approche avec un esprit critique.

Tel Jourdain faisant de la prose sans le savoir, je faisais d’ailleurs de la classe inversée, sans en connaître le terme savant…

Lorsque j’ai commencé à faire mes cours en anglais devant une population hétérogène, j’ai réalisé que j’avais un problème : l’étudiant américain mettait 10 minutes à faire un exercice tandis que l’étudiant chinois n’avait pas fini de lire l’énoncé avec son traducteur électronique… Il m’a fallu rapidement trouver une solution… J’ai décidé de faire préparer le cours en amont afin que tous les étudiants arrivent en cours avec le même niveau de maîtrise des supports – les temps de préparation étant cachés, peu importait que certains y aient passé une heure, là où d’autres y avaient passé la journée…

J’ai donc une approche pragmatique de ces outils. 🙂

J’ai aussi la conviction que la génération Y est beaucoup plus hétérogène que ce que certaines études veulent nous faire croire et mes cours ressemblent à un patchwork afin que chaque étudiant, dans des cohortes de plus en plus grandes, trouve le mode d’apprentissage qui lui convienne le mieux.

Donc mes cours sont une recette de cuisine où alternent réflexions individuelles avec travail collaboratif, exposé magistral et échanges avec les étudiants, théories et exemples d’entreprises, présentations PowerPoint et vidéos, etc.

Mais depuis exactement 10 ans que j’enseigne en école de commerce, après un (très) long passage en entreprise, je m’interroge toujours sur les processus d’apprentissage.

Je fais partie de ceux qui considèrent que l’apprentissage requiert un effort, mais que l’effort peut être allégé et accepté si les étudiants trouvent « quelque chose » qui leur fasse accepter cet effort.

En faisant régulièrement évaluer mes cours depuis 10 ans par les étudiants, je suis arrivée à repérer des mots clefs, qui me surprennent toujours, car ils sont plus du domaine de l’affectif que de celui de la didactique…. Mais qui me semblent refléter l’acceptation de l’effort de l’apprentissage par beaucoup d’étudiants qui suivent mes cours.

Le terme qui apparaît chaque fois que l’évaluation de mon cours fait ressortir un score élevé est le mot « passion »/ « passionnante »,

« Enseignante très passionnante. Le cours est bien illustré avec des exemples concrets. Personne très à l’écoute et qui fournit de très bons conseils. »

 « Le B2B ne m’a jamais attiré et ce cours l’a rendu passionnant à mes yeux ! C’est un immense plaisir de venir écouter le professeur même le vendredi après-midi ! »

  The teacher is very passionate about her subject”

J’ai fini par réaliser que ma volonté de partager ma passion pour mon ancien métier et de transmettre une expérience heureuse (ou tout du moins les aspects les plus heureux et valorisants de cette expérience) devaient l’emporter sur les prescriptions pédagogistes.

Transformer mes anecdotes professionnelles en « storytelling » pour illustrer telle ou telle théorie, entraîne un sentiment de partage avec les (ou tout du moins certains…) étudiants.

L’apprentissage semble donc partiellement basé sur ce partage de « passion ».

Malgré que les étudiants qui fréquentent mes cours aient entre 20 et 25 ans, il m’a aussi fallu du temps pour réaliser que les étudiants ne choisissent pas toujours leurs cours avec rationalité, mais en fonction du lien affectif qui peut les lier à tel ou tel professeur, comme le reflète ce commentaire sur les points forts du cours,

 The teacher! I already took a class with her in the bachelor and I definitively don’t regret to have taken one of her lecture again. She is the teacher that makes student wanting to come to lecture on a Friday until 5 pm. “

Pour l’anecdote, une photo de moi en train de corriger un partiel d’étudiants sur un groupe Facebook fermé et réservé aux étudiants ayant suivi mes cours, a entraîné 54 vues et plus d’une vingtaine de « j’aime », sans compter un e- mail pour me dire que c’était « cool ».

Si j’analyse de plus près certains verbatim, je me rends compte que ce lien affectif est aussi basé sur le ressenti des étudiants quant à la bienveillance, la disponibilité et le sens de l’équité de leur professeur (ce qui marche aussi dans le sens opposé avec des remarques négatives si le sentiment d’équité ne semble pas respecté !).

J’ai aussi mis du temps à prendre conscience que plus je me montrais exigeante mais capable d’empathie vis-à-vis des étudiants, tout en appliquant ce niveau d’exigence à moi-même (ponctualité, contenu du cours, mise à jour du contenu, etc.), plus les étudiants le considéraient comme une volonté de ma part de les aider à réussir et certains qui avaient pu « râler » devant certaines exigences, scoraient de manière positive le cours.

« Professeur très à l’écoute et juste. Professeur qui souhaite voir la réussite de ses étudiants »

Bien sûr, je suis consciente que j’analyse plus un niveau de satisfaction des étudiants, qu’un niveau d’apprentissage, mais je pense que les deux sont finalement intimement liés et que l’effort de l’apprentissage n’est accepté que s’il s’opère dans un contexte de satisfaction personnel.

En conclusion, je garde un regard curieux mais distancié sur les « outils » et j’essaie de conserver intacte ma passion et mon exigence, car c’est la meilleure méthode pédagogique que j’ai trouvée jusqu’à présent…

 

Réflexions sur l'étude de la Fnege qui questionne le modèle du tout-recherche... (juillet 2017)

Une étude de la FNEGE sur le « business model » des écoles de commerce françaises pointe l’impasse dans laquelle vont bientôt se trouver certaines écoles qui n’ont ni l’attractivité ni les ressources de HEC Paris.

http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/ecoles-de-management-etude-fnege-questionne-modele-tout-recherche.html

Cette étude résume des faits qui sont bien connus des acteurs, sans que ceux-ci n’aient, pour l’instant, la capacité à faire bouger le système…

Extrait: « Sous l’effet d’une globalisation croissante et du développement des accréditations, les écoles de commerce françaises, longtemps lieu d’un « savoir pratique », ont massivement investi dans la recherche. Au point de ressembler de plus en plus à des universités… »

Je n’ai jamais compris pourquoi l’université publique était présentée, en France, comme le haut lieu de la recherche…Alors que le manque d’incitation, l’absence d’objectifs (rattachés comme en Angleterre à l’allocation d’un budget) et de contrôle, ainsi que  le manque de moyens, en font un lieu où le nombre et la qualité des publications par chercheur sont certainement  inférieurs à celui des écoles de commerce (je me limite ici à la gestion), mais comme l’université prend grand soin de ne fournir aucune statistique à ce sujet, et que certains chercheurs de grande qualité ou prix Nobel représentent l’arbre qui cache la forêt, le flou persiste…

Le problème est néanmoins celui d’une substitution de la recherche du public vers le privé par les écoles de commerce (consulaires et de plus en plus privées ou sous statut associatif) alors que les diplômes afférents (doctorat, HDR) restent la quasi exclusivité de l’université publique…

Ce paradoxe est d’autant plus troublant que la vraie finalité des écoles de commerce (ESC) n’est effectivement pas la recherche, mais la formation des étudiants…

Extrait de l’étude: « Le sur-investissement académique est devenu le prix pour ne pas être déclassé sur un marché hyper-concurrentiel. Y compris pour les petites écoles qui n’en ont pas les moyens. Cette stratégie, qui pèse sur leurs ressources, est encore renforcée par le système de labels. Mais elles ne parviennent pas à s’en sortir. »

La recherche est dévoyée pour être remplacée par la publication comme fin en soi, car utilisée comme critère d’obtention de certaines accréditations. Or, il existe aussi des accréditations qui s’appuient davantage sur l’enseignement que sur les publications – sans doute moins prestigieuses que l’AACSB – elles sont snobées par les écoles de fin de tableau à qui elles correspondraient mieux!

Extrait de l’étude: « Ainsi, il faut reconsidérer la différence entre « teaching school » et « research school ». Certaines écoles, dont le cœur de métier est l’enseignement doivent pouvoir assumer cette stratégie comme un axe de différenciation. Cette dimension est d’ailleurs reconnue par une une accréditation comme l’AACSB… »

Si l’AACSB reconnaît la dimension professionalisante de la stratégie d’une école, cela n’est pas forcément le cas (où dans une moindre mesure) des accréditations nationales.

Le problème, non mentionné par l’étude, est celui de l’obtention du grade de Master – un label franco-français qui pourrait valoriser l’enseignement, mais qui, lui aussi porte au pinacle la publication…or avant d’obtenir l’accréditation AACSB, les écoles doivent d’abord obtenir cette reconnaissance du Ministère de l’Education…

Une école comme l’EMLV, qui vient d’obtenir le grade Master, n’a réussi à le faire qu’en embauchant des enseignants chercheurs à forte productivité en publications, comme toutes les autres…

Aujourd’hui, cette école se trouve à un tournant: un corps professoral permanent coupé en deux, d’un côté des enseignants-chercheurs à forte connotation pédagogique, dédiés aux étudiants, avec des cours en phase avec les besoins des entreprises et des taux de satisfaction de leur enseignement qui se situent autour de 90-100 % et un temps faible dédié à la recherche et de l’autre des enseignants chercheurs axés sur le « publish and perish »(1) et qui portent moins d’intérêt et de temps aux étudiants…

Un management « fin » du corps professoral permettrait peut-être de gérer de façon équitable ces deux blocs pour permettre à l’école de renforcer la dimension « teaching » tout en remplissant les critères des accréditations, mais cela suppose de s’interroger sur  le positionnement de l’école, d’effectuer un vrai travail sur sa différenciation et surtout de s’interroger sur l’obtention des accréditation de type AACSB en renforçant le volet enseignement plutôt que publications…

La facilité consisterait, par mimétisme, à  embaucher des chercheurs publiants, juste pour remplir les bonnes cases, à viser  les accréditations comme une stratégie en soi, sans s’interroger sur les effets à moyen terme de ces actions sur la qualité de l’enseignement et de la réputation de l’école, qui, en tant que post-bac, n’a pas des préparationnaires (2) captifs comme réservoir d’étudiants, mais s’appuie sur le bouche-à-oreille des diplômés…

La réponse dans les choix qui sont en train d’être faits se trouve dans la qualité managériale de l’encadrement, le niveau d’intelligence relationnelle et les qualités de leadership – or la qualité du management des ESC françaises, est aussi le volet qui manque à l’étude de la FNEGE…

L’avenir passe certainement, pour beaucoup d’ ESC, comme l’indique en filigrane l’étude, par des liens plus étroits avec les entreprises – mais pour cela, il faut une recherche avec de vraies implications managériales, donc un certain nombre d’enseignants-chercheurs pour qui l’entreprise ne soit pas qu’un concept, et qui soient capables de parler le même langage que les managers – ainsi qu’un management d’écoles de commerce qui, lui aussi, soit sur la même ligne managériale… Qui soit capable de définir une vraie stratégie dans un univers hyper-concurrentiel et de remettre en cause, au moins en partie, le mimétisme actuel et le poids trop lourd des accréditations…

 

(1) L’expression « publish or perish » (« publier ou périr » ) vise à dénoncer la pression exercée sur les enseignants-chercheurs pour atteindre des niveaux élevés de publications afin de recevoir des promotions.

(2) Etudiants issus de classes préparatoires préparant aux concours des écoles de commerce dites post-prepa par opposition à celles dites post-bac dont le concours d’entrée est ouvert aux bacheliers.