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Le concept de "coopétition verticale"

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Vous trouverez ici la synthèse d’un travail de recherche académique qui a donné lieu à la publication d’un article sur le concept de « coopetition verticale ».

Si vous souhaitez citer ou vous référer à cet article, merci d’en citer la source comme suit :

Lacoste, S. (2012) « Vertical coopetition » : the key account perspective, Industrial Marketing Management, 41 (4), pp. 649-658.


Introduction

En marketing B-to-C, l’analyse du comportement du consommateur occupe une place prépondérante. Cette analyse du comportement du consommateur ne semble pas avoir de contrepartie aussi développée en marketing industriel – où la recherche se concentre sur l’analyse du point de vue du fournisseur et fort peu sur celle du client.
Nous avons étudié les relations client – fournisseur, mais en prenant cette perspective inhabituelle du client grand compte industriel global.
Ce type spécifique de client a émergé ces dernières décennies sous différents vocables : le « compte clé » ou le « grand compte » ou le « compte stratégique ».

Nous pouvons essayer de définir la notion de grands comptes selon trois critères de classification. Le premier et le deuxième critère sont liés : il s’agit de la centralisation des achats par opposition à la multiplicité des centres de production ou de livraison. On assiste à une concentration des achats au sein des grandes organisations, qui est à mettre en perspective par rapport au nombre de points d’approvisionnement, qui peut être, lui, relativement élevé. Le troisième critère est représenté par un volume d’achats important, ce qui signifie que le client peut représenter une part importante du chiffre d’affaires du fournisseur.

Aujourd’hui, le grand compte devient de plus en plus « global », une entreprise étendue, qui fait fi des frontières des pays pour s’organiser à l’échelle planétaire ou tout du moins par grande zone géographique, et pour laquelle le terme « région » devient synonyme de « continent ». Cette organisation « globale » entraîne, bien sûr, un niveau de complexité supplémentaire dans l’organisation et le processus de prise de décision du grand compte.
Compte tenu de ces spécificités du grand compte, nous nous sommes intéressée à analyser les caractéristiques et les déterminants de leurs relations avec leurs fournisseurs.

Construction de la problématique

Nous avons voulu définir le processus d’interaction à travers la nature de l’échange quand celle-ci est de nature hybride et mélange des formes relationnelles opposées. Les concepts qui sous-tendent notre sujet sont directement issus de la littérature en marketing relationnel. Ce marketing oppose échange transactionnel et relationnel.
Nous transposons ces concepts au niveau de l’échange « vécu » par le client grand compte : nous retenons de l’échange transactionnel la focalisation sur le prix, la volonté de ne pas entrer dans une relation coopérative afin de mettre les fournisseurs en concurrence et nous retenons de l’échange relationnel, sa vocation à s’inscrire dans un continuum qui va de la coopération (optimisation de tous les aspects de la supply-chain) à la collaboration (alignement stratégique). Nous avons donc pour objectif d’analyser les formes relationnelles hybrides qui mélangent des approches transactionnelles (mise en concurrence) et relationnelles (coopération et collaboration).

Or, si la littérature marketing oppose le marketing transactionnel au marketing relationnel sur un continuum, peu de chercheurs se sont intéressés à la zone de convergence, au milieu du continuum, de ces deux types de marketing. Il y a là une sorte de « boîte noire » relationnelle où l’on peut imaginer que les caractéristiques des deux types de marketing s’entremêlent, donnant naissance au concept de « coopetition verticale » sans qu’aucune réflexion théorique n’ait contribué à définir la combinaison de ces deux approches relationnelles, en particulier dans le contexte de la relation commerciale avec le client grand compte.
Nous pouvons ainsi définir notre question de recherche :

Comment et pourquoi (avec quel objectif ?) le client grand compte intègre-t-il des formes ou des épisodes relationnels opposés, qui relèvent à la fois de l’échange transactionnel et coopératif ?

Méthodologie

Comme nous abordons un domaine de recherche qui a été peu étudié, nous nous inscrivons dans une recherche de nature qualitative, qui s’articule autour d’étapes complémentaires et successives.
Une première étude à portée exploratoire va d’abord nous conduire à valider notre question de recherche et nos premières conjectures.
Une seconde phase de recherche qualitative, basée sur des études de cas, nous permet d’explorer le phénomène étudié et de dépasser nos premières conjectures pour définir un modèle théorique explicatif des formes relationnelles hybrides.

Résultats

Nous définissons deux formes hybrides : la première forme hybride est composée d’une dominante transactionnelle et d’une forme secondaire coopérative, tandis que la deuxième forme hybride est composée d’une dominante coopérative et d’une forme secondaire transactionnelle.
Nous avons également défini un modèle théorique d’articulation entre la dominante et la forme secondaire : le modèle « C-R-S ». Ce modèle est composé de trois modes d’articulation :

• La « Correction » (la forme secondaire « corrige » les faiblesses de la forme dominante), 
• Le « Renforcement » (la forme secondaire renforce les avantages de la forme dominante),
• La « Substitution » (la forme secondaire se substitue à la forme dominante, quand tous les avantages liés à son utilisation ont été obtenus).

Nous aboutissons ainsi à la constitution de six typologies relationnelles, qui peuvent être classées d’une forme transactionnelle légèrement « impure » à une forme relationnelle presque « pure » (voir Figure 1) :

1. « Renforcer » la dominante transactionnelle par des aspects relationnels traduit la recherche d’une meilleure appropriation de la valeur par une approche transactionnelle (recherche du prix net le plus bas), par un plus grand choix et une indépendance de son choix de fournisseurs, mais pour optimiser son choix, le grand compte utilise une approche collaborative (pour obtenir le plus d’informations sur le marché) afin d’augmenter la valeur économique créée.

2. La gestion des litiges avec les fournisseurs, ainsi que la recherche d’autres bénéfices relationnels, en plus d’une focalisation sur la recherche d’une compétitivité prix, sont les principales raisons qui poussent le grand compte à « corriger » son approche transactionnelle par une approche plus relationnelle.

3. « Substituer » la dominante relationnelle par une relation transactionnelle permet la prolongation de la relation (appel d’offres menant à la reconduite d’un contrat) ou, à l’inverse, la (quasi-)disparition de la relation.

4. « Substituer » la dominante transactionnelle par une approche plus relationnelle peut s’apparenter à un cycle relationnel : la dominante transactionnelle peut évoluer vers une approche relationnelle, quand le grand compte cherche à obtenir des bénéfices relationnels après avoir épuisé les bénéfices transactionnels.

5. « Corriger » la dominante relationnelle par des éléments transactionnels, relève du désir du grand compte d’opérer un « contrôle », mais ce contrôle n’est pas qu’inter firme, il est aussi intra firme (au sein du grand compte).

6. Quand la dominante relationnelle est forte, l’approche transactionnelle va venir « renforcer » la position du fournisseur, car il est totalement associé à cette approche : le contrôle du grand compte s’apparente à une forme d’autocontrôle (organisation d’un benchmark). Le « contrôle » vient ici renforcer la confiance.

Ces typologies sont en fait une typologie de fournisseurs inscrite dans une dynamique ou une trajectoire relationnelle :

• Les fournisseurs « low-cost », sont issus du « renforcement » de la dominante transactionnelle par une forme secondaire coopérative ;

• Les fournisseurs « challengers » sont issus de la « correction » de la dominante transactionnelle par une forme secondaire coopérative ;

• Les fournisseurs « privilégiés » sont issus de la « correction » de la dominante coopérative par une forme secondaire transactionnelle ;

• Les fournisseurs « stratégiques » sont issus du « renforcement » de la dominante coopérative par une forme secondaire transactionnelle.

La recherche par le grand compte d’un type de fournisseur ou de relation dépendra du produit acheté, mais, de plus en plus, de la valeur créée par sa marque ou sa Business Unit. Le niveau de valorisation des marques ou des activités du grand compte dans un environnement hyper compétitif est le facteur explicatif majeur de la dynamique relationnelle basée sur des formes mixtes.
Si la marque ou l’activité (du grand compte) crée fortement de la valeur, les relations avec les fournisseurs seront plutôt à dominante coopérative, car la stratégie achats sera plutôt sur une logique stratégique de différenciation et de recherche de bénéfices relationnels. Si l’avantage concurrentiel (du produit fini) est faible et que l’entreprise opte plutôt pour une logique de domination par les coûts, les relations avec les fournisseurs seront plutôt à dominante transactionnelle.

Conclusion

Sur le plan théorique, cette recherche offre plusieurs niveaux de contribution.

La première contribution consiste à rapprocher la théorie de l’empirie. Dans le domaine des relations inter organisationnelles, les travaux qui portent sur les relations verticales s’appuient sur des théories solides, comme l’ECT (Économie des coûts de transaction), ou originales, comme le marketing relationnel, mais qui, conceptualisées dans les années 1970 à 1990, ne prennent pas toujours en compte l’évolution importante et récente de ces relations. Notre singularité, mais aussi la difficulté de notre travail, ont consisté à utiliser notre expérience du monde de l’entreprise comme point de départ pour approfondir et transformer une connaissance empirique en une approche conceptuelle.

La deuxième contribution est consacrée au regard croisé que nous apportons entre marketing et achats afin d’élargir le cadre conceptuel du marketing : que vaut une théorie marketing si elle ne rencontre pas le point de vue du client ? La recherche en marketing B-to-B fait peu d’incursions dans le champ académique des achats.

Sur le plan managérial, le regard croisé que nous offrons et le modèle de coopetition vertical que nous proposons (Figure 1) fournissent des outils d’analyse pour aider les entreprises et consultants à élaborer ou renforcer des programmes de gestion de grands comptes ou de Key Supplier Management ou plus généralement à construire des organisations fortement orientées « client » (« customer-centric »).

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