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Exposé : Existe-t-il une réelle politique économique au niveau européen ? (octobre 2003)

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Introduction

L’année 2002 fut l’année de la première crise entre l’Union Européenne et Monétaire et un état membre sur des aspects économiques : le Conseil des Ministres des Finances (Ecofin) relevait une non-conformité entre les dispositions budgétaires et les grandes orientations de la politique économique irlandaise qui pouvait se traduire par un risque inflationniste élevé.

Cette première crise fut surmontée mais ce sont aujourd’hui l’ Allemagne et la France qui sont mises en cause par la Commission Européenne pour non-respect du pacte de Stabilité et de Croissance (PSC) et qui encourent le risque d’une amende représentant 0.5 % du PIB.

Un grand débat sur le PSC s’est ouvert et un jeu de « gendarmes et de voleurs » s’est engagé entre certains états membres et la Commission Européenne.
Historiquement, le traité de Maastricht du 7 février 1992 précise et concrétise les critères de convergence des politiques économiques et monétaires européennes – mais dans le contexte de crise actuelle entre états membres et Commission Européenne, nous sommes amenés à nous demander s’il existe une réelle politique économique au niveau européen.

Par politique économique, il faut comprendre l’ensemble des décisions prises par les pouvoirs publics dans le but d’orienter l’activité économique afin que soient réalisés certains grands objectifs économiques et sociaux.

Les décisions prises par les pouvoirs publics ont été classées en 3 domaines d’intervention par R. Musgrave (1959) :

- Intervention en matière d’allocation des ressources (corriger les échecs du marché)
- Intervention pour la redistribution des ressources (réallouer les ressources plus équitablement)
- Intervention dans un objectif de stabilisation (limiter les cycles économiques)

Le cadre ne serait pas ici national mais européen et par pouvoirs publics nous devons entendre les Etats membres de l’UEM.

Ceci nous amène à la dualité Etat/Union européenne pour nous demander quels sont les enjeux d’une politique économique européenne par rapport à « l‘addition » de politiques économiques nationales et surtout quelles sont les décisions et les interventions qui relèvent du niveau communautaire et/ou du niveau national – Qui détient le pouvoir de décision et comment se partage-t-il ?

Notre problématique s’énonce autour de la question suivante :

L’articulation actuelle de la politique économique européenne (pouvoirs/interventions) en termes de politiques économiques nationales assure-t-elle une convergence suffisante ?

Pour répondre à cette question, nous analyserons,

1. Les interventions partagées entre Etats et organes communautaires

2. Les difficultés d’une convergence vers une politique économique européenne « coordonnée »

Développement

1. Les interventions partagées entre Etats et organes communautaires

Des trois interventions de l’Etat en matière économique décrites par Musgrave, la stabilisation ( 1) est certainement la plus importante et sa réussite rend la mise en œuvre de la redistribution ( 2) et de l’affectation des ressources ( 2) plus facile.

1.1. La stabilisation

Par stabilisation, nous comprenons ici la stabilisation macro-économique et principalement la stabilité des prix et la croissance – ce qui est l’objet de la politique monétaire pour la stabilité des prix et la politique budgétaire pour la croissance.

1.1.1 La stabilité des prix : objectif de la politique monétaire

Le pouvoir de création monétaire et la politique monétaire sont définis par le SEBC (Système Européen de Banques Centrales), sous la responsabilité de la BCE.

La BCE est un organe totalement indépendant du pouvoir politique (contrairement à la FED aux USA qui rend compte au Congrès).

Elle s’est fixé comme seul objectif celui de la stabilité des prix (cf. article 105 – Alinéa 1 du traité de Maastricht).

Sa stratégie repose principalement sur une cible directe d’inflation (la stabilité des prix est définie comme une progression sur un an de l’indice des prix à la consommation harmonisée inférieure à 2 %)et les instruments pour atteindre cet objectif de stabilité des prix sont maîtrisés par la BCE :

- Monopole d’émission des billets de banque
- Pilotage de la liquidité du marché monétaire (suivi des agrégats)
- Imposition de réserves obligatoires aux établissements de crédit
- Pilotage des taux d’intérêts

La BCE concentre donc l’essentiel des pouvoirs en matière monétaire et possède tous les leviers pour s’assurer de la stabilité des prix et la maîtrise de l’inflation.

1.1.2 La stabilité de la croissance : objectif de la politique budgétaire

La politique budgétaire est du ressort de chaque Etat national – c’est lui qui décide, soit,

d’une politique expansionniste (endettement public pour relancer la croissance) selon une approche keynésienne du rôle économique de l’Etat .

Cette politique est d’autant plus praticable que la sanction imposée aux politiques de relance – le risque de dépréciation de la monnaie nationale sur le marché des changes – disparaît avec l’euro.

D’une politique de « sagesse » budgétaire et de maîtrise du déficit public.
L’interpénétration des Etats diminue l’impact purement national de toute relance – d’autant plus que les coûts sont supportés par un seul état (charge de la dette publique) tandis que les bénéfices se diffusent aux économies partenaires.

Privés de l’outil monétaire, les Etats gardent un outil de régulation macro-économique avec une politique budgétaire qui leur est propre mais l’interdépendance des économies au sein de l’UEM réduit leur marge de manœuvre – sans compter l’obligation de respecter les critères de convergence du traité de Maastricht – que nous analyserons dans la 2ème partie.

La stabilité – selon Musgrave – est donc davantage du ressort de la BCE – qui possède un pouvoir économique plus étendu que celui des états dont la marge de manœuvre est plus restreinte en pratique qu’en théorie.

1.2. La redistribution et l’affectation des ressources

La redistribution relève des politiques fiscales et sociales propres à chaque état mais dans certains domaines très particuliers, l’Europe joue un rôle très important,

1.2.1. La redistribution

Chaque état mène une politique qui lui est propre de protection sociale et de redistribution des revenus – l’éventail est large du libéralisme anglo-saxon à l’état-providence français.

Ainsi 3 catégories distinctes peuvent être différenciées :

- Les états scandinaves dont les prélèvements obligatoires représentent entre 50 et 55 % du PIB et qui ont forgé un modèle spécifique d’état social
- Les pays latins dont les prélèvements obligatoires se situent entre 45 et 50 % du PIB avec un autre modèle de redistribution des revenus
- Enfin le modèle anglo-saxon dont les prélèvements obligatoires se situent entre 30 et 35 % et un niveau de libéralisme social beaucoup plus important.

Les inégalités des revenus au sein de chaque état vont donc varier considérablement – l’écart sera le plus faible en Scandinavie et le plus important au UK.

Si chaque état a une approche « micro-économique » spécifique en termes de redistribution , l’UEM s’est située dans une perspective plus « macro-économique » en essayant de réduire les écarts du PIB entre les différentes régions ou secteurs économiques particulièrement fragilisés (ex. secteur agricole).

Ainsi le FEDER (Fond Européen de Développement Régional) a pour objectif de subventionner des projets structurels régionaux dans les régions les plus pauvres dont le PIB < 75 % du PIB moyen communautaire.

Dans une même approche la PAC (politique agricole commune) – 44 % du budget de l’UEM -a pour objectif d’assurer un niveau de vie équitable à l’ensemble du monde agricole communautaire.

Ainsi, les compétences économiques sont à priori nationales (en vertu du principe de subsidiarité des Etats) mais l’Europe s’est dotée d’outils relativement significatifs dans des domaines où un transfert des compétences au niveau communautaire améliorait l’efficacité de l’intervention – ce qui s’applique particulièrement en cas d’intervention de redistribution et de réduction des inégalités entre régions, secteurs où états.

1.2.2. L’affectation des ressources

Certes là encore les Etats ont une certaine marge de manœuvre à l’intérieur de leurs frontières mais l’UEM s’est aussi attribué des pouvoirs qui concernent particulièrement le monde industriel et commercial.

L’approche communautaire de la politique industrielle exprime la volonté de promouvoir le fonctionnement le plus efficace possible des marchés et vise 3 objectifs :

La création d’un cadre juridique propice à l’implantation et au développement des entreprises dans la Communauté

La création d’un environnement économique favorable à l’épanouissement des entreprises dans le marché unique (réglementation très stricte de la concurrence)

La promotion de la coopération entre entreprises de différentes régions de la communauté.

Ces objectifs ne sont pas tous remplis à ce jour mais un mouvement de fond est amorcé et le symbole le plus important est sans doute la possibilité depuis fin 2001 (application en 2004) donnée aux entreprises de se constituer comme société de droit communautaire et d’évoluer comme un opérateur unique dans toute l’union.

Des interventions de l’UEM au côté des interventions de chaque état, nous retiendrons une volonté de jouer un rôle économique de plus en plus visible dans les domaines définis selon la terminologie de Musgrave, mais nous constatons dans le même temps des divergences très importantes entre les différents pays – tant sur le plan de l’emploi (France près de 10 % de la population au chômage contre 3.1 % au UK), d’équilibre budgétaire (situation fortement déficitaire France/Allemagne – Equilibre en Espagne), etc.

2. Les difficultés d’une convergence vers une politique économique européenne « coordonnée »

Nous avons vu dans le chapitre précédent que la politique monétaire était décidée – de façon totalement indépendante – par la BCE tandis qu’il n’existe pas une politique budgétaire mais des politiques budgétaires résultant des divergences de situations économiques décrites ci-dessus – comment gérer le « policy mix » ?

Les travaux des économistes Mundell et Fleming ont montré que dans un cadre de liberté des mouvements de capitaux et un taux de change fixe, l’efficacité de la politique budgétaire est maximale.

Malheureusement la théorie de Mundell et Fleming ne s’applique pas au sein de l’UEM du fait de l’interpénétration des économies et de la pluralité des politiques budgétaires.

Pour optimiser la situation économique européenne, une coordination des politiques budgétaires est indispensable.

2.1 La coordination budgétaire

La coordination budgétaire implique la modification conjointe des politiques budgétaires nationales afin de prendre en compte les interdépendances des économies.

2.1.1 Pourquoi coordonner ?

La non coordination des politiques budgétaires nous amènent dans une situation de jeu non-coopératif avec un équilibre de Nash que nous savons ne pas optimiser le résultat ;

Selon Thygesen (1992) et Jacquet (1998), la coordination remplit 3 objectifs :

- Optimiser l’interdépendance des économies
- Atteindre un niveau d’équilibre coopératif plus élevé que l’équilibre de Nash
- Préserver ou améliorer le régime communautaire existant

La coordination budgétaire présente donc une dimension essentielle de l’optimisation des mécanismes communautaires

2.1.2. Les instruments de la coordination budgétaire

La convergence des politiques économiques et budgétaires fait partie intégrante du traité de Maastricht : les états doivent satisfaire 4 critères de bonne gestion qui fixent des seuils à ne pas dépasser en matière,

- D’inflation
- De taux d’intérêt
- D’endettement
- De déficit budgétaire

Entré officiellement en vigueur le 1er janvier 1999, le PSC (pacte de stabilité et de croissance) concrétise ces critères de convergence en fixant un seuil maximum d’endettement public de 60 % du PIB et de déficit de 3 % du PIB.

La mise en place de ces règles contraignantes sont en fait liée à la mise en place de la monnaie unique : si un état laisse filer ses déficits, cela pourrait provoquer une hausse des taux d’intérêt qui serait supportée par tous. Le PSC est le garant d’une certaine discipline budgétaire rendue nécessaire par le manque de maîtrise des états de l’outil monétaire.

Or, la discipline budgétaire n’est pas acquise : tandis que la France et l’Allemagne s’apprêtent à dépasser le seuil des 3 % de déficit pour la 3ème année consécutive, des pays plus petits respectent strictement les critères du PSC (ex. l’Espagne).

2.2. Les difficultés de la coordination

2.2.1. de la difficulté de respecter les règles en période de récession

Les premières années qui ont suivies l’instauration du PSC ont été des années de croissance – en particulier l’année 2000 – tous les indicateurs étaient au vert.

Le ralentissement conjoncturel actuel a mis en évidence les limites du dispositif.

La politique de la BCE est critiquée pour être trop restrictive.

L’économiste Michel Aglietta ( interview dans l’Express du 23/10/03) estime que la tradition monétariste de la BCE avec le seul objectif de stabilité des prix était adapté dans les années 70/80 (période de forte inflation) mais se trouve en porte à faux dans le contexte actuel de récession et de stagflation.

La rigidité du PSC est aussi critiquée – dans le contexte de situations économiques nationales très divergentes, le PSC ne prend pas en compte ces disparités.

Il représente un frein à la poursuite de politiques nationales spécifiques, qui ont besoin, en cas de récession ou de chocs conjoncturels, de laisser « filer » le déficit afin de relancer la croissance.

Le PSC est asymétrique – s’il limite les déficits en période de ralentissement, il ne contraint pas les pays à profiter des périodes de croissance pour accumuler des marges de réserve.

Les règles qui ont permis à l’Europe de progresser dans la convergence sont questionnées en période de récession mais le mot souplesse ou « mise entre parenthèses » est ici employé plus que le mot suppression.

2.2.2 Des pistes pour une meilleure convergence et coordination

Déjà en mars 2003, les ministres des finances ont amendé le PSC en fixant un solde budgétaire proche de l’équilibre ou en excédent, apprécié sur l’ensemble du cycle d’activité et les mesures d’assainissement (fixées à 0.5 points de PIB par an) sont mesurées sur le solde structurel.

D’autres pistes sont évoquées,

Certains proposent d’inscrire l’emploi et la croissance dans les objectifs de la BCE
D’autres souhaitent d’urgence une harmonisation fiscale – surtout au niveau épargne et entreprises – afin de limiter la concurrence fiscale et de progresser vers l’harmonisation économique.

Les relations actuelles entre la France et l’Allemagne montrent aussi que la coordination peut s’appuyer sur la capacité des états à exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon conjointement organisé.

Conclusion :

La politique économique européenne est une interpénétration de pouvoirs transférés à des organes communautaires (politique monétaire) et de prérogatives nationales ( politique budgétaires) contraintes à une coordination afin d’optimiser leurs gains (selon la théorie des jeux).

Cette coordination représente pour l’avenir de l’Europe un véritable défi pour créer une politique économique européenne – sans déléguer à une instance communautaire la politique budgétaire – mais en créant sa propre orientation générale cohérente avec suffisamment de flexibilité pour prendre en compte des politiques et des situations économiques nationales différentes.

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